Vumètre / Janvier février 2023

Interview Stéphane Even

Propos recueillis par Juliette Razowski

S’il y a bien une personne à laquelle il faut prêter une oreille attentive dans ce numéro, c’est lui : Stéphane Even, le créateur de Neodio. Son ambition est noble : insuffler à la hi-fi un vent nouveau, celui de l’écologie. Cette industrie est aussi concernée et doit s’inscrire dans les enjeux de demain. En nous partageant sa vision des choses et sa manière de concevoir les appareils d’écoute, Stéphane nous propose des solutions concrètes et vertueuses. Selon lui, sobriété peut collaborer avec efficacité. Pari réussi pour Neodio.

Vous avez toujours évolué dans l’univers du son et de l’acoustique, par vos études et votre parcours. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette voie ?

J’ai effectivement étudié le son au travers de mes études parce que j’avais choisi une école d’ingénieur en électronique qui proposait des cours d’électroacoustique, mais ceux-ci ont duré finalement assez peu de temps. Les débuts de ma vie professionnelle ont été orientés vers l’électronique, ce n’est que plus tard que je me suis dirigé vers le son.
Mon amour de la musique, en revanche, remonte à loin ! Mon frère a 11 ans de plus que moi et c’est un grand fan d’Elvis Presley. J’ai donc baigné toute mon enfance dans la musique du King, j’y avais droit tous les soirs. J’imagine qu’à mon insu, cela a dû me former l’oreille. Ensuite, j’ai découvert le son lorsque mon père a acheté une chaîne hi-fi en 1973. J’avais huit ans. Nous avions déménagé dans un nouvel appartement et il s’est acheté un beau modèle Sony (que j’ai toujours d’ailleurs). Je ne l’ai pas mis en route depuis bien longtemps mais il est encore de ce monde et je compte bien le restaurer un jour. Il avait donc ce système audio fort décent. C’était une chaîne tout intégré avec la platine vinyle, le tuner, l’ampli, les cassettes ; un bel objet avec du bois que nous ne trouverions plus aujourd’hui. Il avait également une petite paire d’enceintes JBL. Bref, tout cela marchait très bien et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser à la musique au travers de mes premières amours musicales comme Supertramp dont je suis un grand fan, Elton John, ABBA et bien d’autres. Ça a démarré comme ça. Adolescent, je me suis confectionné mon premier système hi-fi. J’ai acheté mon premier lecteur CD quand j’étais étudiant.
J’ai eu, durant mes études, un professeur qui m’a fait découvrir des articles de Gérard Perrot qui signait sous le nom d’Héphaïstos dans la revue L’Audiophile. Il a conçu un ampli pendant 11 ans. J’étais un peu fasciné par la culture technique de ce monsieur. Cela m’a beaucoup inspiré.
Après mes études d’ingénieur en électronique, j’ai travaillé douze ans dans le groupe Schneider. J’y ai occupé différents postes puis j’ai fini responsable anticipation dans la cellule basée à Angoulême. J’ai opéré à la fabrication de capteurs. Voilà, donc tout cela n’avait pas grand chose à voir avec l’audio. Par la suite, j’ai voulu créer mon entreprise et naturellement, je me suis tourné vers la hi-fi. Je me projetais dans la fabrication d’amplificateurs parce que c’était mon métier. Je suis un électronicien de l’analogique, donc il a été assez évident pour moi de faire ça.
J’ai quand même un peu hésité avant de me lancer. J’étais conscient que c’était un marché difficile, je n’y suis pas allé la fleur au fusil. J’ai fini par créer un premier amplificateur, puis un deuxième, etc. En fait, j’y suis allé très progressivement et j’ai manœuvré comme chez Schneider, en faisant appel à des sous-traitants. Ce sont des gens sérieux et carrés qui assurent une fiabilité très grande au produit.
J’ai d’ailleurs pu importer une technique que j’avais élaborée chez Schneider dans mon lecteur CD. Tout cela m’a amené à développer un écosystème complet. Ça fait vingt ans maintenant, je me suis lancé en 2002.

Vous êtes donc content du résultat ?

Oui, très ! Même si j’ai pu avoir des doutes, mais nous en avons tous dans un parcours de 20 ans. Toutes les entreprises passent par des phases plus ou moins difficiles, mais l’envie de faire les choses a toujours été présente chez moi. J’aime profondément ça. J’aime la hi-fi, j’aime la musique, et je trouve que pouvoir écouter de la musique chez soi de manière très réaliste est l’un des plaisirs incroyables du monde moderne. Nous avons quand même la capacité d’inviter de grands artistes, qu’ils soient morts ou vivants, dans notre salon. C’est extraordinaire. En tout cas pour moi, et ça l’est pour un certain nombre de gens aussi, sinon je ne ferais pas ce métier.

Vous avez conceptualisé un objet qui s’appelle l’Origine B1 puis B2 pour remédier aux anomalies sonores. Comment êtes-vous parvenu à les développer ?

L’origine B1, c’est le fruit d’un long travail de recherche. Avant que je ne lance Neodio, il y a vingt ans, j’avais conçu un prototype et même plusieurs générations de prototypes que nous avions fabriqués (avec les sous-traitants) un peu pour le plaisir. Au moment où j’ai décidé de créer mon entreprise, il a fallu que je propose un prototype final.
J’ai rencontré des difficultés absolument incompréhensibles pour l’électronicien que j’étais. J’ai donc mis le doigt, avant même de créer l’entreprise, sur le fait qu’il y avait un problème, quelque chose que nous ne comprenions pas.
Or à la même période, Pierre Johannet – qui était un chercheur au laboratoire d’EDF à Clamart – commençait à conceptualiser sa théorie des micro-décharges d’interface (MDI). Il a mis en lumière comment le matériel des chaînes et la situation acoustique de la salle d’écoute pouvaient être perturbés par de hautes fréquences. J’ai donc appelé ce monsieur, nous nous sommes rencontrés et nous avons beaucoup échangé sur le sujet.
Il était normal selon lui que j’ai toutes les difficultés du monde car beaucoup de données nous échappaient, à l’époque, dans l’audio. Certaines choses étaient encore abstraites et méconnues.
C’est donc dans ce contexte que j’ai mis le doigt sur une recherche personnelle qui m’a obsédé pendant toutes ces années et qui continue de m’animer pour essayer de comprendre la physique qui se trouve dans la hi-fi.
Je ne parle pas des lois de l’électricité ou de l’acoustique, qui font parti du corpus de connaissance. Je parle de la physique qui nous dépasse, que nous n’arrivons pas à comprendre. Il y a quelque chose qui coince, une anomalie.
J’ai pu constater que cette anomalie se présentait sous diverses formes, comme le fait qu’il y ait une disparité entre ce que nous entendons et tout ce que nous mesurons. La qualité du son dépend beaucoup des câbles, par exemple, alors que ça ne devrait pas (un câble de supermarché devrait faire le job). Il y a des jours où votre système hi-fi marche très bien, et d’autres jours c’est une calamité, suivant l’heure de la journée le son change, chaque détail, les accessoires, les supports, les meubles, l’âge du capitaine, tout ça cela fait que le son est différent tout le temps. Et lorsque nous avons une oreille affûtée, nous aimerions que le son soit le plus qualitatif possible et en permanence. Mais ça n’est pas le cas.
La démonstration de ce phénomène, c’est lorsque vous assistez à un salon international. Beaucoup de salles sonnent de façon perfectible, même s’il y a un million d’euros de matériel. C’est quand même très significatif ! C’est donc sur ce constat que j’ai démarré il y a vingt ans, avec la volonté de comprendre ces phénomènes, ces anomalies qui altèrent la qualité sonore perçue, que nous ne pouvons pas mesurer et qui nous échappe complètement.
Petit à petit, j’ai trouvé des choses et j’ai commencé à comprendre ce sur quoi je travaillais.
Pour l’Origine B1, j’ai eu une théorie sur les ultrasons. Je pensais qu’il y avait des perturbations ultrasonores dans la chaîne hi-fi. J’imaginais qu’il y avait des ultrasons générés par les haut-parleurs, qu’ils se propageaient dans l’ensemble du système et que cette propagation était un peu aléatoire. Cela expliquait pourquoi il y avait des jours où cela sonnait très bien et d’autres beaucoup moins.
Cette hypothèse ultrasonore collait très bien aux observations.
Par la suite, j’ai eu la chance de pouvoir faire une mesure avec un appareil scientifique qui s’appelle un vibromètre laser. C’est un appareil qui est employé dans l’industrie et coûte une fortune. Il s’agit d’envoyer un rayon laser sur les surfaces que nous souhaitons mesurer et de quantifier la vibration de ces surfaces jusque dans les ultrasons et bien au-delà.
J’ai donc pu tester cela sur mon système hi-fi et constater qu’il n’y avait pas d’ultrason… ce qui m’a bien embêté !
À partir de là j’ai décidé de mettre toute mon énergie dans ce projet, de faire toutes les expériences possibles pour essayer de cerner la nature du problème. Nous sommes en 2017. J’ai fini par comprendre que c’était la molécule d’eau qui était responsable de ces problèmes. Elle est partout dans l’environnement. Il a fallu appréhender son fonctionnement, son comportement. Ça a été long !
J’ai fait plus de mille expériences. Pour la petite anecdote, j’ai des boîtes entières remplies de choses que j’ai inventées pour essayer de valider les hypothèses. J’ai tenté plein d’expériences, j’ai obtenu différents résultats. Il faut faire des liens avec toutes ces expériences, procéder par élimination, etc. C’est un travail de fourmi. C’est un peu comme une enquête policière, il faut y aller pas à pas et minutieusement.
Et l’Origine B2 est donc la version la plus aboutie de tout ce travail, encore améliorée.

Vous êtes sur une niche finalement ?

Oui, je vais dire que c’est mon approche qui diffère un peu de celles des autres entreprises qui tentent de faire un son plaisant. Moi, j’essaye de comprendre ce qu’il se passe avant de faire le son plaisant. À mon sens, la qualité sonore découle du fait qu’il y a une compréhension d’un certain nombre de paramètres et une maîtrise de ceux-ci qui peut permettre ensuite un résultat qualitatif. Il faut faire les choses dans le bon ordre.
Si je ne comprends pas ce sur quoi je travaille, je ne peux pas délivrer un résultat qui me convienne. Mon idée, c’est de théoriser et de rendre objectif tous ces effets qui sont purement subjectifs aujourd’hui.
C’est un projet ambitieux, premièrement parce que la plupart des ingénieurs ne sont même pas conscients que ce problème existe. Seulement quelques personnes l’ont identifié, Pierre Johannet en fait partie. Et deuxièmement, il faut des moyens colossaux pour faire des mesures physiques sachant qu’il faudrait déjà s’entendre sur la façon dont faire la mesure. Bref, c’est du boulot pour des thésards !

Autant d’années de recherche avant d’aboutir à ce résultat, c’est long ! Qu’est-ce qui vous a fait persévérer ?

Je ne saurais vous dire… Peut-être parce que c’est mon travail depuis plus de vingt ans ? Je pense que ce qui m’a permis de tenir, c’est qu’à un moment donné, j’ai eu le sentiment que j’avais les capacités de régler le problème, que c’était à ma portée. J’y ai cru en fait, c’était une conviction intime et ça l’est toujours. Néanmoins, j’étais conscient que je pouvais échouer parce que je ne savais pas si mon objectif était atteignable. Ça n’a, effectivement, pas toujours été facile mais j’ai tenu bon. J’avance progressivement. Je suis maintenant très rassuré sur le fait que c’est cyclique. Il y a des moments où je suis bloqué, les choses n’avancent plus, je tourne en rond, je remets tout en question et puis finalement j’arrive à trouver quelque chose de nouveau.
Puis en parallèle de cette recherche, je gérais l’activité de l’entreprise. Chaque recherche que j’ai poursuivie pendant vingt ans a abouti à des étapes intermédiaires que j’ai commercialisées, avec des électroniques, des câbles, des accessoires, tout un tas de choses qui m’ont permis de vivre. Donc évidemment, la recherche était une activité parallèle mais qui représentait quand même 50 % de mon temps.

Est-ce que vous saviez ce que vous vouliez trouver quand vous avez commencé vos recherches ?

Pas du tout ! Je suis électronicien à la base. Concrètement, j’ai inventé des systèmes purement mécaniques puisque l’Origine B2, c’est complètement mécanique et non électronique. Je n’aurais jamais pensé faire un truc pareil. Je suis hors de mon domaine de compétences. Quelque part, il a fallu que je désapprenne tout ce que je savais. Pas tout, bien sûr, mais pour faire de bons objets électroniques en audio ou des bons câbles, il ne faut pas suivre les règles didactiques et académiques. La plupart des gens qui fabriquent des produits intéressants suivent leur propre expérience, leur expertise et leur intuition. Nous sommes en terre inconnue car la science est incertaine, nous ne savons pas où nous allons. Mais il y a quelque chose à l’intérieur de nous qui nous dit d’y aller quand même, nous avançons malgré tout et il y a des progrès de plus en plus palpables.
Et puis la difficulté dans la molécule d’eau, c’est qu’elle est partout autour de nous, en nous, nous en sommes constitués en grande partie. Elle est dans les matériaux, dans l’air et ça change en permanence, au fil de la journée. Nous sommes obligés de composer avec une forme de météo si je puis dire.

Est-ce que vous pensez que l’humain peut également avoir un impact dans cette physique abstraite ? Qu’il joue un rôle dans ce phénomène d’anomalie ?

Il y a évidemment une part de subjectivité de l’auditeur à rendre compte de ce qu’il entend. Sauf qu’entraîné comme je suis, je sais mettre ma subjectivité de côté.
C’est sûr que si nous ne sommes pas dans les meilleures conditions d’écoute, que nous avons mal au crâne par exemple et que nos sens sont altérés, la musique deviendra vite du bruit. Autant ne rien écouter.
Quand j’écoute un système, je suis très concentré et j’arrive à faire abstraction de cette potentielle dimension perturbatrice.
Après, effectivement, il peut y avoir d’autres phénomènes. Par exemple si d’autres personnes rentrent dans la pièce, leur présence physique peut changer la nature du son à un moment donné puisque nous avons de l’eau en nous.
D’une manière générale, dès que nous rentrons de nouveaux objets ou que nous déplaçons des Origine B2, par exemple, ça n’est pas instantané. Ça ne marchera pas tout de suite. Il faut attendre que les choses se posent, se stabilisent, ce ne sont pas des phénomènes immédiats. Il faut prendre du temps et du recul pour constater les résultats et la différence.
J’ai une méthodologie précise. Au début, je fais des comparaisons d’extraits musicaux avec des passages de quelques secondes car nous avons une mémoire auditive très courte et nous associons surtout l’émotion au son. Donc, pour fixer le son dans notre mémoire, il ne faut pas écouter longtemps. Je fais des tests avec et sans les Origine B2.
Puis progressivement, j’écoute des passages musicaux plus longs. J’écoute de manière décontractée pour voir comment je me sens, si j’ai plaisir à entendre ou non et si cela m’accroche l’oreille ou pas. Il faut écouter de différentes manières pour essayer de lisser les aléas subjectifs.
C’est un exercice que beaucoup de concepteurs font forcément. Il faut tester sans cesse, revenir sur les produits, réécouter des semaines plus tard en se mettant vraiment dans une posture d’appréciation. Moi je fais des comparaisons en permanence en fait, c’est comme ça que ça fonctionne.

Travaillez-vous seul sur vos recherches et expériences ou êtes-vous accompagné ?

Je travaille seul. Dans la structure, il n’y a que moi mais je fais appel à des sous-traitants avec lesquels je collabore pour les recherches et les expériences.

Que ce soit une source analogique ou dématérialisée, l’Origine B2 aura-t-il le même effet ?

Pour ma part, j’opère sur un lecteur CD. Qui dit CD, dit digital. Si j’avais une source dématérialisée, je pense que j’aurais des effets similaires. Et si j’avais une platine vinyle, probablement que j’aurais aussi le même type d’effet. En fait, ça n’est pas tellement lié à la nature de la source, plutôt à sa qualité. Il faut qu’elle soit de très haute qualité pour ne pas gommer le son, et qu’elle soit neutre. Par exemple, si la source est typée et qu’elle produit un son particulier, elle va imposer ce son à l’ensemble de la chaîne. C’est comme un filtre qui nous empêchera de percevoir correctement.
Dans mon parcours, j’ai aussi cherché à améliorer mes produits progressivement. Plus les produits sont bons, plus ces effets sont perceptibles aisément. Si vous avez des appareils trop typés, qui ne sont pas neutres, vous masquez tout ça plus facilement.

Vous faites parti des premiers constructeurs de hi-fi à inciter à une consommation vertueuse et écologique. Selon vous, par quoi cela passe-t-il ? Quelles actions concrètes ?

C’est important pour moi depuis le début, mais je ne l’avais pas vraiment formalisé. Récemment, je suis allé plus loin dans mes engagements et j’ai abordé le sujet concrètement. Je l’ai appelé le « Blue Program ».
En tant que citoyen et comme beaucoup, j’ai traversé une grosse remise en question de mon mode de vie. Je constate les effets du réchauffement climatique, que les ressources naturelles ne sont pas infinies et qu’il faut faire des efforts vers la sobriété. Je vois dans la hi-fi des excès à l’inverse et cela me choque.
Je me suis donc demandé comment je pouvais faire, en tant que fabricant, pour aller dans la direction la plus vertueuse possible. Les engagements que je propose via le Blue Program sont à la fois forts et modestes, parce que le plus bel engagement serait de ne plus fabriquer de hi-fi. Mais j’en ai quand même besoin pour vivre et je pense que la musique fait du bien aux gens.
Nous posons donc six engagements. Le premier est de concevoir des produits optimisés et sans surenchère. Je vous donne un exemple : une face avant d’amplificateur en hi-fi haute de gamme mesure souvent 15 à 20 mm.
Sachez que cela ne sert strictement à rien. Nous pouvons la faire sur 8 mm. Un nouvel amplificateur sortira bientôt : le TMA (The Minimalist Amplifier). Ce modèle aura une face avant plus petite. Idem lorsque nous dimensionnons la puissance de l’ampli ou l’alimentation de l’amplificateur.
J’ai décidé de revenir à l’essentiel. Le nouvel ampli Neodio ne disposera pas de télécommande ni d’afficheur par exemple. Il aura des boutons mécaniques.
Il n’y aura pas non plus de mode veille, il suffira de l’éteindre pour qu’il ne consomme pas en dehors de son utilisation.
Il fera 80 W et pas 500, comme nous pouvons le trouver sur le marché. Cela couvrira largement l’immense majorité des besoins.
Tout cela relève d’une juste dimension des choses. Savoir trouver l’équilibre entre ce qui se fait et ce dont nous avons besoin.
Le deuxième engagement, c’est de rendre les appareils réparables. Si nous créons des produits très denses comme des circuits intégrés, des circuits électroniques contenant des puces très denses (un téléphone portable par exemple), c’est difficilement réparable. Comme nous produisons trop et trop vite, au bout de cinq ans la puce en question n’existe plus donc lorsque nous sommes faces à des appareils qui ont 30 ans, il est impossible de les réparer. Si nous avons un appareil simple entre les mains, il sera opérable. Plus un appareil est complexe, plus il sera compliqué de le réparer. S’agissant de Neodio, j’étais déjà dans la simplicité avec mes schémas, je ne fabriquais pas des produits ultra complexes mais quand même très soignés. J’ai décidé d’aller encore plus loin. C’est pourquoi le futur amplificateur TMA sera vraiment conçu pour être réparé par des gens qualifiés et bien au-delà de la durée de garantie.
D’ailleurs, cela sera mentionné à l’intérieur. Les blocs fonctionnels ont été repérés pour qu’un réparateur lambda qui n’aurait même pas le schéma, mais qui est bon électronicien, puisse le dépanner dans 30 ans. L’idée, c’est vraiment de proposer quelque chose de durable.
Je tiens également à préciser que le fait de mettre moins de matières et moins de composants permet aussi de réduire le coût. Ainsi, l’appareil devient plus accessible. Le futur amplificateur TMA coûtera cinq fois moins cher que l’ampli actuel. Nous divisons le prix par cinq mais pas la qualité sonore.
Troisièmement, et en parallèle de la réparabilité des appareils, je m’engage à garantir tous les nouveaux produits pendant 10 ans à partir de 2023.
Quatrièmement, je tiens à mettre en avant que tous nos appareils sont fabriqués en France. Cela a toujours été le cas chez Neodio, mais je souhaite l’affirmer encore plus. Pour montrer que c’est possible ! Et les sous-ensembles sont fabriqués en France aussi, ça n’est pas simplement le vissage et l’assemblage. C’est facile d’acheter des cartes, des puces, des composants en Chine et de dire que c’est français. Si l’assemblage représente 5 % de la valeur ajoutée, ça n’est pas vraiment fabriqué en France à mon sens. Chez Neodio, tout est à échelle française.
Cinquièmement, je souhaite permettre l’évolutivité des produits. Pouvoir upgrader les produits Neodio est un autre aspect important à mes yeux. C’est possible sur les amplificateurs et les lecteurs CD. Toutes les recherches que j’ai pu faire au cours des dernières années ont donné lieu à de nouvelles solutions qui permettent d’améliorer les produits sur la base existante. C’est moi qui gère le SAV de tous les produits depuis le début. Certains appareils qui ont 20 ans me sont renvoyés parce qu’il y a une panne. Bien souvent, il s’agit de la même pièce qui lâche. J’en profite pour proposer aux clients un upgrade. Une fois que l’appareil est démonté, autant appliquer de nouvelles composantes pour qu’il fonctionne mieux que ce qu’il était il y a 20 ans. Les clients sont en général toujours partants pour le faire parce que la valeur de l’upgrade est très raisonnable par rapport au prix de la réparation. Si c’est possible sur l’appareil, je propose vivement l’évolutivité pour allonger sa durée de vie.
Par exemple, le nouveau système de l’Origine B2 s’intègre très bien à l’Origine B1. Les gens me renvoient leurs Origine B1 pour les upgrader en B2 (je les appelle les B1 evo).
Ils sont contents de pouvoir garder ce produit qu’ils aiment et le transformer en une version améliorée plutôt que de racheter le tout dernier modèle.
Enfin, dernier point, je supprime autant que faire se peut le plastique des emballages. Cela paraît anodin parce que j’ai une petite structure, mais j’expédie des petits colis pratiquement tous les jours. Forcément, j’utilise du plastique pour caler et emballer le matériel. Dans le meilleur des cas, il finira dans une décharge ou sinon dans les océans. Cela me consterne. J’ai donc essayé de mettre au point une solution. Je travaille avec une entreprise de la région (pour l’Origine B2) qui est un gros acteur du carton. Nous avons imaginé un emballage 100 % kraft protégeant le produit pendant le transport et contre les chocs. Cela nous a demandé trois itérations avant d’arriver à une boîte et un suremballage complètement en kraft qui fonctionne. Nous le lancerons en 2023. Ça semble anecdotique mais c’est un boulot assez important, ce n’est pas simple. Ça demande des efforts et ça coûte de l’argent d’élaborer toutes ces solutions. Mais je veux participer à cette prise de conscience donc je suis prêt à tout mettre en œuvre pour inciter à cela. Je pense qu’il faut essayer de tenter autre chose et se donner les moyens de faire mieux. Tous ces petits gestes accumulés peuvent faire la différence.

Justement, à bien des égards, cette dynamique d’implanter du « green » dans tous les domaines est globalement assez décriée. Comment réagissent les gens par rapport à votre approche ? Sont-ils réfractaires ou accueillants ?

La mise en avant de ces engagements vertueux est relativement récente, je n’ai donc pas encore récolté les fruits de cette nouvelle « politique ». En revanche, j’ai pu en parler et la mettre en avant lors de salons à Bruxelles et Bordeaux il y a peu de temps et les participants adhéraient complètement à ces valeurs-là.
À mon sens, cette philosophie s’inscrit dans l’air du temps donc je ne pense pas que cela soit mal accueilli. J’aimerai aussi toucher des générations plus jeunes, qui seront sans doute plus sensibles à ces arguments que leurs aînés. Mon message, c’est de leur dire que quand vous achetez un produit Neodio, vous achetez quelque chose de durable, de local, avec une vraie qualité.
Je ne supporterais pas l’idée que mes produits soient catalogués comme jetables ou consommables, qu’ils soient revendus juste après. Il y a une vraie réflexion dans mon travail.
Je repense souvent à la hi-fi des années 1970. Les marques anglaises, surtout, qui m’ont inspiré. Avant l’ère du digital et du marketing, les produits étaient simples, nobles. Je trouve qu’il y a quelque chose de pur, que je recherche aussi. Je me concentre sur l’essentiel, à savoir la durabilité et la qualité sonore du produit.

Quel est l’avenir de la hi-fi à votre avis ?

Je vois plusieurs tendances. Celle à toujours plus de digitalisation de la hi-fi – les streamers, l’écoute nomade, etc. Je trouve également que nous allons beaucoup trop loin dans la gadgétisation des produits. Toutes les options proposées, c’est de l’over engineering ! C’est une grosse tendance ces dernières années, qui rebute beaucoup de gens à mon avis et les éloigne d’une approche hi-fi plus sensée. Parce que tout cela masque en réalité une absence d’innovation ; le domaine de l’audio ne bouge pas tant que ça. Les haut-parleurs, par exemple, n’ont quasiment pas évolué.

Et d’un point de vue écologique ?

J’ai l’impression qu’il y a aujourd’hui une forte tendance à la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). L’écologie devient une donnée importante à prendre en compte, comme le bien être des salariés.
Les entreprises ont d’ailleurs du mal à recruter parce que les gens veulent donner un sens à ce qu’ils font, et c’est important.
Je pense qu’il faut insister sur ces sujets pour permettre quelque chose de plus humain et de moins axé sur l’hyper technologie.
Il est vrai que les amplificateurs ont pas mal évolué avec la classe D ces dernières années, mais globalement il n’y a pas de révolution technologique misant sur des aspects plus qualitatifs et moins polluants. Je pense qu’il faut vraiment mettre l’accent dessus et aller dans une direction d’optimisation, de simplicité au service de la performance et de la durabilité.

Êtes-vous optimiste ?

Je suis plutôt optimiste ! Parce qu’il est possible de faire autrement et mieux. Nous en avons largement la capacité ! Il faut simplement prendre le problème par le bon bout et arrêter de nous pondre des nouveautés tous les six mois. Quand je vois tous ces standards numériques, je suis halluciné.
Ce que nous cherchons avant tout c’est la musique, il ne faut pas l’oublier. C’est l’essence même de notre métier. C’est notamment pour cela que le vinyle résiste bien à mon avis. C’est un standard figé, c’est mécanique. Nous manipulons l’objet, nous le voyons fonctionner. Je pense que les jeunes apprécient beaucoup le vinyle et ils ont raison parce qu’il y a justement ce rapport à l’objet et à la machine qui reste assez humain. Alors qu’avec le numérique, nous sommes dans un rapport de consommation et de zapping. D’ailleurs nous n’écoutons plus des albums, nous écoutons des playlists. J’ai le sentiment que cela dénature le rapport à la musique. Tout est dans l’immédiateté…
Il ne faut pas que le numérique monopolise toute l’attention et nous écarte de l’essentiel, qui est l’émotion des artistes. Je vois donc des raisons d’espérer grâce aux vinyles, et puis au live aussi. Les gens assistent à beaucoup de concerts. La musique vivante c’est encore ce qu’il y a de mieux, un rapport direct aux artistes.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Je souhaite continuer à décliner tout ce que j’ai déjà mis en œuvre, appliquer à tous les objets de la chaîne hi-fi le savoir-faire que j’ai acquis.
J’ai pour ambition de faire de Neodio la première marque de hi-fi française écoresponsable, donc j’aimerais aussi sensibiliser mes confrères et leur montrer qu’une voie plus vertueuse et plus durable est possible.

À titre personnel, comment êtes-vous équipé ?

J’ai la chance d’avoir pu aménager un showroom chez moi, donc j’ai une pièce dédiée à la musique. J’y ai installé des enceintes Kelinac 722 Néo, c’est un modèle sur lequel j’ai collaboré. C’est un nouveau produit qui est référencé sur mon site Internet. Il est fabriqué par Kelinac en région parisienne. J’ai également un lecteur Origine première version qui a légèrement été upgradé avec des Origine B2 dessous. Enfin, j’ai un ampli NR300 de l’ancienne gamme, avec tous mes câbles et mon écosystème secteur. Il y a deux boîtes seulement et ça me va très bien.
Au bureau, j’ai eu beaucoup d’enceintes entre les mains et j’ai changé assez souvent de matériels, pour comprendre comment les fabricants procédaient. Il y a donc beaucoup de marques que j’ai appréciées aussi, notamment les fabricants français d’enceintes. J’ai un gros faible pour celles qui marchent vraiment bien et qui sont faites en France !

Vumètre

Janvier février 2023

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